FAUT-IL RENONCER À BEAUCOUP DE CHOSES POUR ÊTRE HEUREUX ?

 

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INTRODUCTION 

Cette interrogation est paradoxale, puisqu’ici on lie le fait d’être heureux avec le renoncement. Or, en général, on n’associe pas le bonheur avec la notion de privation. C’est plutôt l’inverse, on associe le bonheur avec l’argent, la fortune, l’accomplissement personnel dans une profession, la réussite sentimentale dans un couple, le fait d’avoir des enfants.

Si donc , par contre, il faut renoncer à quelque chose pour être heureux (comme le sous-entend le sujet), qu’est ce que cela peut bien être ? Les gens qui mènent une vie religieuse ont renoncé à beaucoup de choses puisqu’ils font vœu de chasteté, de pauvreté, d’obéïssance. Dans ces cas, il y a renoncement à l’argent, à la sexualité, à la liberté . Sont-ils heureux pour autant ? En les cotoyant, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de dépressifs dans les Ordres, pourtant certains d’entre eux soutiennent qu’ils sont heureux .

Par ailleurs, s’il faut renoncer à certaines choses pour être heureux, nous allons examiner au cours du développement, qu’il faut, au contraire, rester attacher à d’autres choses pour être heureux. Ce qui est certain, c’est que dans nos sociétés occidentales, le bonheur est trop assimilé au confort matériel, au bien-être charnel.

Première partie : Le bonheur est lié pour une certaine part au renoncement.

Premier argument : Pour être heureux, il faut renoncer à avoir des désirs démesurés.

C’est une règle qu’on trouve dans les philosophies antiques (comme Épicure), mais aussi chez des modernes comme Descartes. Ainsi Descartes dans le Discours de la Méthode, quand il énonce sa morale provisoire, avant d’entreprendre sa recherche de la première vérité (qui s’avérera être le cogito), affirme : « Ma troisième maxime était de toujours de tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs plutôt que l’ordre du monde ». Autrement dit, ce que nous préconise le philosophe, c’est d’ être réaliste et d’avoir le courage de ne pas persévérer dans des voies sans issue. Pour être heureux, il faut adapter ses désirs aux possibilités concrètes que la réalité nous présente.

Mais comment trier nos désirs, et lesquels satisfaire ?! Épicure nous dit que la recherche du bonheur exige de la prudence et du discernement. Selon Épicure, en effet, il faut savoir reconnaître les désirs naturels et nécessaires (comme le boire et le manger), des désirs naturels non nécessaires comme la sexualité, et les désirs vains (qui eux, ne sont ni naturels, ni nécessaires) tels le désir de gloire et le désir de fortune. La vertu épicurienne par excellence est donc la prudence qui permet une juste vue des plaisirs et des peines consécutives à la réalisation de telle ou telle action. Ainsi pour Épicure tous les excès sont à bannir, aussi bien l’ascétisme que la débauche. Être heureux, dans cette perspective, c’est apprendre à choisir de préférence les désirs naturels et nécessaires. L’épicurien accompli n’est donc pas un jouisseur, il n’abuse pas du plaisir, car qui possède est à la longue possédé.

Deuxième argument : Pour être heureux, il faut aussi renoncer à son égotisme, son narcissisme.

Vouloir jouir à tout prix comme nous le conseille explicitement notre société contemporaine est une voie de perdition car c’est se retrouver habité par une espèce de hâte fiévreuse et désordonnée qui rend égoïste. Ainsi, il arrive étant jeune que poussé par la curiosité de connaître le plaisir sexuel, on se mette à fréquenter une personne du sexe opposé uniquement pour savourer le plaisir, tout en négligeant la relation à l’autre. Dans la recherche de l’Éros où on accorde prioritairement la place à la soif du plaisir physique, le problème c’est que l’on utilise l’autre comme un moyen et qu’on a pas de sentiments réels pour la personne que l’on fréquente. Le problème, c’est que cela est une impasse, car 1) la lascivité aboutit rapidement à l’ennui (cf le roman l’Ennui de Moravia), et 2) L’autre devient furieux quand il apprend qu’on le fréquente « juste histoire de se faire son expérience », donc ensuite il y a des risques plus ou moins importants d’avoir des ennuis. On peut ainsi dire qu’on passe de l’ennui aux ennuis ! 3) Enfin, si on a un minimum de principes moraux, on se sent quand même dégradé et sali . Personnellement, les seuls avantages que j’avais trouvé à ce type d’expérience quand j’étais jeune, c’était de m’avoir déniaisé d’une couche de romantisme propre à faire de moi « une bonne soeur » et de m’avoir fait comprendre concrétement (c’est à dire de manière ressentie) que la recherche du plaisir physique seul est dérisoire. Mais que de remords et même de blocages sexuels après cette grosse bêtise ! Ma seule excuse véritable était que mon père très oppressif me cloitrait quasiment … et que j’étais dans une solitude affective et une détresse existentielle très forte. J’avais bien lu la Bible, mais quoi ?! Ni conseils, ni mains amies, nulle part … ! Névrose carabinée et solitude, indifférence et méchanceté m’entouraient, que faire d’autre après … si ce n’est des bétises ! Si l’on m’avait conseillée… et les Évangiles, mon livre de chevet à 15 – 16 ans, les Évangiles … nulle part appliquées ! Je dis bêtises, car mes méchancetés ne sont jamais devenues des habitudes de pensées et d’actions. Donc, pour connaître le bonheur, se départir de son égoïsme, de son égotisme (tendance à se prendre pour le centre de l’univers) est très important. Mais avant d’arriver vraiment à l’application de ce principe de vie, combien d’écueils faut-il éviter ?!

Troisième argument : Par ailleurs, pour connaître le bonheur, il faut arriver à ne plus se comparer sans cesse aux autres. Il faut renoncer à la comparaison, qui nous fait voir le verre plutôt à moitié vide qu’à moitié plein. Sénèque, philosophe admirable s’il en fut, affirmait : « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux ». Pire que la jalousie, l’envie nous guette et nous ronge, comme le ver dans un fruit. Évitons la comparaison qui nous mène à l’envie, car il n ‘est guère de passion plus triste que celle-ci . Mais cette maxime hélas, nous l’appliquons en général, peu à peu, avec l’expérience de la vie. Et d’ici là, il ne faut pas renoncer au bonheur ! Car à force de renoncer, n’est ce pas au bonheur auquel nous renonçons ?!

Deuxième partie : Car si le bonheur consiste en certains renoncements, il y a par contre des choses auxquelles nous ne devons pas renoncer pour y parvenir ! Il faut donc examiner maintenant, ce à quoi il ne faut pas renoncer.

Premier argument : Pour parvenir au bonheur, il ne faut pas renoncer à tout plaisir . Ainsi chez les grecs anciens , la vie heureuse consistait à savourer quand même les plaisirs de l’existence. Le refus de toute jouissance ne mène pas au bonheur, et combien voyons nous de personnes âgées devenir frustrées, aigries et méchantes à force d’avoir renoncé. Car la vie est somme toute assez courte, et le fruit n’est pas mûr à tout âge, et il se déssèche s’il n’est pas cueilli. Le renoncement ne doit donc pas non plus être confondu avec le sacrifice. Et pour parvenir au bonheur, n’oublions jamais que la vieillesse est la suprême épreuve, et combien, elle est amère pour ceux qui ont abusivement renoncé à beaucoup trop de choses dans leur jeunesse ! N’y a t-il pas de pire tristesse que celle de mourir non réconcilié?!

Deuxième argument : Pour aboutir au bonheur, il ne faut pas renoncer à l’amour. Nous parlons ici de l’amour en général, cela peut être dans un couple, cela peut être l’amour filial et parental, cela peut être l’amour d’amitié, l’amour comme cause humanitaire tel Henri Dunant consacrant sa vie entière aux droits des blessés et prisonniers de guerre après s’être trouvé à Solferino après la bataille où gisaient des milliers d’ hommes morts et blessés sur le sol, et laissés sans soins. Il semble que la condition sine qua non du bonheur soit liée à l’ouverture à autrui. Ainsi B.Vergely dans Petite Philosophie du Bonheur nous dit : « La conversion à la joie est aussi une conversion à autrui ». La solitude paraît ainsi être le premier obstacle au bonheur, B.Vergely déclare aussi : « On souffre quand on voit le monde avec les yeux de celui qui n’aime pas ». Quand on n’espère plus l’amour d’ailleurs vient souvent la décision de mettre fin à ses jours. Durkheim, dans son enquête sociologique du suicide, a ainsi établi que plus le degrè de solitude d’un individu est marqué , plus le risque de suicide est important. C’est pourquoi statistiquement les célibataires se suicident plus que les gens mariés, et les couples sans enfants sont plus touchés par ce phénomène que les couples avec enfants. C’est le renoncement à l’amour qui paraît complétement incompatible avec la recherche du bonheur. Ainsi beaucoup de saints ont renoncé à l’amour dans le couple, mais pas à l’amour en général. Ainsi Saint François d’Assise chantait et louait la création entière, comme on le voit dans son hymne resté célèbre : « laudato si ô mi signore », et les animaux même venaient à lui.

Troisième argument : Pour accéder au bonheur, il apparaît aussi qu’il faut une recherche de la sagesse. Comme si quelque part il était impossible d’être heureux si on ne philosophe pas ! Le bonheur nécessite que nous usions de nos capacités les plus nobles de notre être comme la contemplation de l’Idéal (qui est la définition même du bonheur platonicien). Ne satisfaire que nos bas instincts et ne pas développer son intelligence ne laissent qu’amertume ; car notre être, pour s’épanouir a besoin de la croissance de notre intellect, comme le végétal a besoin de lumière pour pousser. On dit parfois que le bonheur n’est réservé qu’aux gens peu intelligents et qui ne se posent pas trop de questions, mais cela est une vue précipitée et superficielle du sujet, ainsi Voltaire déclarait : « Je me suis dit cent fois que je serais heureux si j’étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrai pas d’un tel bonheur ». Car si le bonheur peut se trouver dans la béatitude (qui est un état difficile à obtenir), il ne saurait se trouver dans l’hébétude. La simple satisfaction des besoins vitaux nous apporte le confort dans l’existence, mais il n’est pas suffisant pour l’être humain. Car à ce compte là, les vaches qui paissent dans les près seraient plus heureuses que nous. Or, comme les bêtes ne font que se sentir exister, elles n’ont pas suffisamment d’esprit, de réflexivité pour être véritablement et jouir réellement de l’existence.

Ce qui prouve qu’il y a nécessité de la pensée pour être heureux, et que la seule satisfaction des besoins vitaux n’est pas suffisante à rendre heureux. C’est qu’il y a des gens qui se suicident alors qu’ils ont un certain confort de vie (une aisance matérielle), et qu’il y a par contre des gens qui arrivent encore à être heureux dans des situations d’inconfort matériel ! Donc, le bonheur se situe plus au niveau de l’être qu’au niveau de l’avoir. Ainsi, dans son Essai sur la Joie, Robert Mishari définit le bonheur comme « une espèce de permanence joyeuse de sa propre identité ». Or, « cette espèce de permanence joyeuse de sa propre identité », ne se trouve que quand on a une vie intérieure, car seuls les individus qui ont une vie spirituelle ne s’ennuient jamais avec eux-mêmes et savent s’intéresser intelligemment. Les individus qui ont peu de recherche personnelle n’ont qu’une vie fade et sans valeur, dont ils masquent le vide par des comportements déviants ou extrêmes, ne sachant pas apprécier les charmes quotidiens de l’existence. Et sans activités intérieures, sans cheminement personnel, le psychisme ne meuble pas suffisamment le temps pour arriver à la plénitude de l’existence. Et sans idéal pour diriger l’intellect, la vie est fadeur et la mort une atroce conclusion comme le souligne Houellebecq dans son recueil de poèmes intitulé la Poursuite du Bonheur.

Voici ce que cet auteur écrit par exemple :

« Les objets bien rangés et la vie toute vide

Et les courses du soir, restes d’épicerie

Télé sans regarder, repas sans appétit

Enfin la maladie, qui rend tout plus sordide,

Et le corps fatigué qui se mêle à la terre,

Le corps jamais aimé qui s’éteint sans mystère ».

Être heureux nécessite donc d’avoir recours à l’intelligence, à la réfléxion. Ainsi Bergson remarquait qu’un des plus grands bonheurs de l’existence humaine est la créativité artistique. Donc, avoir une vie de l’esprit, et pas uniquement une vie physique, est ce qui nous garantit le plus de joie. Dans le même sens , Goethe a écrit : « Le bonheur le plus grand est la personnalité ». Dans le même ordre d’idées, Schopenhauer a démontré dans ses Aphorismes sur la Sagesse dans la Vie que « ce que l’on est », est beaucoup plus important que « ce que l’on a » et « ce que l’on représente ». Autrement dit, tous les grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui s’accordent sur le fait que la dimension spirituelle de l’existence est la plus essentielle pour être heureux. Cet accord des esprits, sur ce sujet, à un niveau historique et universel nous indique que c’est une profonde vérité à savoir que le bonheur se situe d’abord au niveau de la vie de l’esprit. Développer sa sensibilité, affermir son caractère, affiner ses dons et ses goûts, compte encore plus que l’acquisition ou la possession d’ objets extérieurs.

Avoir un idéal motive aussi la vie de l’esprit, puisque des études sociologiques ont montré que les personnes ayant une activité et une croyance religieuse sont en général moins sujettes (statistiquement parlant) à avoir des addictions de type drogues ou alcool, il y a aussi moins de divorces et de dépressions, ainsi que moins de suicides ; l’espérance de vie est supérieure de sept ans par rapport aux autres individus.

CONCLUSION

Si donc pour être heureux, il faut renoncer à la superficialité et aux choses superfétatoires. Il ne faut pas renoncer à prendre en compte nos désirs profonds, car la recherche du bonheur passe par un exercice constant de la réflexion. Cependant, chose que nous contrôlons moins bien hélas, il faut pour être vraiment heureux un contact avec autrui. Mais ce contact avec autrui ne doit pas être narcissique, car le bonheur suppose aussi que l’on renonce à avoir du pouvoir sur les autres de manière égocentrique et dominatrice.

De même que nous devons renoncer au contrôle des autres, nous devons aussi pour être heureux renoncer à vouloir dominer le temps. Ainsi Simone Weil dans ses Cahiers de New York, au cahier 3 insiste sur ce renoncement quant à la temporalité, en acceptant notamment de n’avoir plus de prise sur le passé (il n’est plus, et est révolu), et de lacher prise quant au futur (car le futur n’est pas encore là, et on ne peut avoir aucune certitude quant à lui, et de plus : « à chaque jour suffit sa peine »). Pour arriver au bonheur, elle nous convie à nous recentrer sur le présent, seul moment réellement concret.

On doit donc renoncer à vouloir contrôler les autres et le temps si l’on veut être heureux. Quant aux stoïciens, ils nous invitent à changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde . Mais renoncer à changer l’ordre du monde, n’est-il pas une certaine forme de lâcheté, incompatible avec le bonheur, le renoncement de trop ?!

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