Y A T-IL DE BONNES IDÉES REÇUES ?

 INTRODUCTION

Une idée reçue est une idée que l’on a accepté sans examen approfondi, autrement dit, une idée reçue est celle que l’on a intégré à notre esprit, alors que celui-ci était passif. L’idée reçue selon la définition de wikipédia est située à mi-chemin entre le stéréotype, le cliché et le lieu commun. Il semble à première vue que les idées reçues soient partout : à l’école, à la télévision, véhiculées par la famille, la religion et les proverbes, us et coutumes. À priori, la question  : « y a t-il de bonnes idées reçues » ? paraît incongrue; l’expression « idée reçue », en effet, est connotée de manière très négative. D’ailleurs, dans le langage courant, il y a l’expression « combattre les idées reçues », ce qui sous-entend qu’elles ne peuvent être que combattues.

Par conséquent, cette expression suggère que les idées reçues sont foncièrement mauvaises. Cependant, le sujet, au contraire, nous invite à voir s’il n’y a pas une certaine positivité dans certaines idées reçues.

PREMIÈRE PARTIE :  IL SEMBLERAIT QU’IL N’Y AIT PAS DE BONNES IDÉES REÇUES.

Une idée reçue relève souvent plus du cliché que d’une vision exacte de la réalité. C’est pour cela, qu’en général, l’idée reçue est mauvaise. L’idée reçue est d’autant plus difficile à combattre qu’elle est très répandue.

Premier argument : En histoire, il y a des idées reçues car 

a) Avec l’éloignement dans le temps, l’esprit humain est fatalement amené à faire des caricatures. Par exemple, quand on regarde rétrospectivement la mentalité européenne du Moyen-âge, on a du mal à s’en faire une idée exacte, car la société féodale était fondamentalement une mentalité religieuse, alors que notre nouveau siècle est largement déchristianisé.

b) Le passé n’étant plus, on ne peut pas le vérifier de manière directe, on est dépendant des témoignages des hommes du passé. Or, ces témoignages peuvent être discutables. Pour illustrer le problème de la validité des témoignages en histoire, qui amène fatalement à des idées reçues, on peut prendre l’exemple de la légende de la petite taille de Napoléon. On a souvent dit que l’empereur compensait sa petite taille par une soif de pouvoir insatiable. Or, Napoléon avait une taille moyenne pour l’époque : 1 m 68 . Seulement , Napoléon était souvent vu aux côtés des hommes de sa garde impériale sélectionnés pour leur grande taille. Ce qui a du contribuer à la perception de Napoléon comme un individu de petite taille. L’autre source d’erreur est sans doute la propagande britannique.

Prenons encore un autre exemple : le cas de l’adage « Qui dort dîne ». Cela ne veut pas dire que le sommeil calme la faim, comme on le croit souvent. Cet adage était en réalité l’enseigne des auberges d’autrefois, cela indiquait clairement que le voyageur qui louait une chambre devait aussi dîner sur place. Avec le temps, l’usage de cet adage s’est complétement galvaudé et le sens originel a été dénaturé.

Il y a donc forcément des idées reçues en histoire, car la distanciation temporelle crée immanquablement des appréciations erronées.

Deuxième argument : Il est fatal d’avoir des idées reçues, il ne peut en être autrement, car comme l’a dit Descartes dans le Discours de la Méthode : « Nous avons tous été enfants avant que d’être hommes ». Du fait que nous ne naissons pas avec un cerveau mâture, nous sommes forcément influencés et dépendants des opinions de notre entourage : famille, enseignants… De plus, eux-mêmes ont été enfants également, donc ils ont été indubitablement influencés par la doxa (opinion ambiante). Et ainsi de suite, de génération en génération, si on remonte jusqu’aux origines de l’Humanité.

Ainsi prenons  par exemple une croyance qui remonte à la « nuit des temps », la caricature qui est faite sur le comportement des autruches. Les autruches n’enfouissent pas leur tête dans le sable pour se cacher des prédateurs, mais elles rapprochent leur tête du sol en cas de forte chaleur. Mais dire que les autruches s’aveuglent par peur est une opinion reçue depuis fort longtemps, car Pline l’ancien au premier siècle de notre ère faisait déjà la remarque suivante : « Les autruches sont les animaux les plus stupides du monde. Elles croient se rendre invisibles en plongeant la tête dans le sable ».  

Autre idée reçue dès l’enfance en général : la couleur rouge rend les taureaux agressifs. Or, les taureaux sont dichromates, leur vision se limite au noir et au blanc, le rouge n’est donc pas perçu par l’animal. Ce n’est donc pas la couleur rouge de la cape des toreadors qui les pousse à charger, mais le mouvement de la cape qui les excitent et qui est ressenti comme une menace.

Les idées reçues dès l’enfance peuvent néanmoins être combattues grâce au moyen des sciences. Ainsi avec le progrès de la zoologie, on sait que les autruches ne cherchent pas à se camoufler en se mettant la tête dans le sable. De même avec le progrès de la science biologique, on sait que l’oeil du taureau ne perçoit pas le rouge, car on l’a disséqué et comparé de manière méthodique avec l’oeil humain. 

Troisième argument : Néanmoins même dans les sciences, il y a encore des idées reçues. Pourquoi ? Parce que la connaissance scientifique est basée sur des données empiriques, liées à l’expérience, or les sens sont souvent trompeurs.

Ainsi pendant très longtemps, les gens ont cru que le soleil tournait autour de la Terre, alors que c’est l’inverse, c’est la Terre qui évolue autour du soleil. Mais cette idée reçue pendant des siècles s’explique du fait qu’avec nos sens, nous voyons le soleil se lever, se coucher, bouger dans le ciel au cours de la journée; tandis que nous ressentons que la Terre est immobile de manière physique. Pourtant avec les progrès de la science astronomique, nous savons désormais que la terre bouge en permanence dans l’espace infin puisqu’elle tourne autour du soleil en 365 jours, et qu’elle tourne sur elle-même en 24 heures.

Évidement, au fur  et à mesure que les sciences se développent et progressent, il y a moins d’idées reçues dans le domaine des sciences, mais comme nous avons tendance à nous fier d’abord à nos sens, beaucoup d’idées reçues sont encore « reçues » par une grande masse de gens, relayées par les médias comme par exemple le fait que boire de l’eau fait maigrir ou grossir .

Quatrième argument : Enfin , il y a des idées reçues par le biais des préjugés; et on ne peut pas dire, en général, que les préjugés soient bénéfiques pour l’Humanité. La différence entre une idée reçue et un préjugé, c’est que le préjugé a une connotation morale que n’a pas forcément l’idée reçue. Toutes les idées reçues ne sont pas des préjugés, il y en a qui relèvent de l’ignorance humaine par rapport à l’immense somme de savoir encore à acquérir lors de la progression des sciences. Mais tous les préjugés sont malheureusement des idées reçues. Et la philosophie, comme l’a remarqué Schopenhauer est « une chasse aux préjugés ».  

La philosophie étant une « chasse aux préjugés », la profession de professeur de philosophie est une des plus dangereuses, car beaucoup d’ individus tenant à leurs préjugés ont tendance à être les ennemis de la philosophie. C’est pourquoi d’ailleurs, la philosophie est la discipline qui véhicule le plus de préjugés du genre : la philosophie, « ça ne sert à rien », la philosophie s’est fait « pour les fous »; les philosophes sont des gens qui ne vivent pas dans la réalité, ils « planent » (syndrôme du professeur Tournesol) ! 

Les préjugés ont deux origines : la paresse intellectuelle et la méchanceté. Les idées reçues, par le biais des préjugés peuvent être extrêmement dangereuses, ainsi même les philosophes les plus prestigieux n’ont pas été exempts de l’influence des préjugés. Ainsi Aristote n’était pas contre l’esclavage (opinion formulée dans son ouvrage Politique). Kant, dans un opuscule sur la différence des sexes dit que la femme doit se contenter de se vouer aux soins du ménage, de la cuisine et aux soins à apporter aux malades et aux enfants. Dans le même ordre d’idées, Molière dans beaucoup de pièces de théâtre dit qu’il vaut mieux que les femmes ne soient pas instruites, ainsi elles ne contesteront pas l’autorité de leurs maris.  Ce qui est d’autant plus douteux que la femme de Socrate, Xanthippe était fort revêche et rebelle sans pour autant être très instruite ! Le problème des idées reçues reliées aux préjugés, c’est qu’elles sont d’autant plus reçues qu’elles permettent à ceux qui sont au pouvoir de le conserver. Ainsi l’esclavage n’a pas de légitimité morale, mais il permettait aux négriers de se faire de l’argent ! Le sexisme n’a pas de légitimité morale, mais il permettait une exploitation d’un sexe par l’autre. Mais comment les hommes seraient-ils vraiment heureux, si les femmes sont malheureuses, remarquait à juste titre Stuart Mill ?! « Le malheur des uns fait le bonheur des autres » n’est sans doute donc  pas un proverbe que l’on doit recevoir sans précautions et ajustements philosophiques ! Néanmoins les proverbes ont en général un grand « fond de vérité ». Les proverbes ne sont-ils donc pas de bonnes idées reçues ?!

DEUXIÈME PARTIE : IL Y A QUAND MÊME  DE BONNES IDÉES REÇUES.

Premier argument : Le proverbe, étant de l’ordre du dicton , est perçu comme une idée reçue, et pourtant, bien souvent, c’est une expression de bon sens. Un proverbe, en effet, se présente comme un échantillon de sagesse. La sagesse proverbiale véhicule des idées, des principes moraux, surtout dans le but d’instruire la masse des individus.

Le proverbe est inculqué, en général, dès l’enfance (c’est en cela qu’il est une idée reçue). Le proverbe se présente presque comme une sacro-sainte vérité, longuement expérimentée par la masse des gens. Comme par exemple, la fameuse phrase : « L’habit ne fait pas le moine », ou encore « Qui vole un oeuf, vole un boeuf! », ou  bien encore « l’amour rend aveugle »!; « Coeur qui soupire n’a pas ce qu’il désire ! ».Ce type d’assertions nous les avons reçues dès notre plus jeune âge comme des vérités philosophiques nous permettant de débroussailler notre découverte du monde, quand il s’offrait à notre expérience dans les débuts de notre existence. Et nous avons reçu ce type d’idées, comme nous avons reçu le lait dans notre état juvénil. Les proverbes sont, en effet, là pour donner des rudiments d’expérience à ceux qui n’en disposent pas encore !

Deuxième argument : Dans les contes, qui sont aussi une expression de la sagesse populaire, on trouve aussi des idées véhiculées qui se présentent comme de véritables idées reçues, et qui sont pourtant positives; du genre : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ! », « le crapaud peut se transformer en prince charmant ! » Autrement dit, on inculque à l’enfant que la beauté intérieure compte plus que l’apparence extérieure.

Néanmoins ces idées reçues, par les proverbes et dans les contes sont quand même à nuancer : Parfois le crapaud reste un crapaud, même si on l’embrasse ! De même l’expression « l’amour rend aveugle ! » n’est pas à recevoir sans quelque réflexion, ainsi un examen philosophique approfondi fait plutôt dire que c’est la passion ( partie constituante de l’amour) qui rend aveugle sur les défauts de l’autre plutôt que l’amour en soi. 

De même « l’habit ne fait pas le moine » n’est pas une expression à recevoir sans nuances, car il arrive bien que les gens ont l’air de ce qu’ils ont l’air ! Ainsi, a contrario si quelqu’un se présente avec une allure de voyou (je ne voudrai quand même pas tomber dans le cliché des « blousons noirs »!), c’est peut être bien qu’il est réellement potentiellement une menace ! Si on ne veut pas sombrer dans les clichés et les idées reçues, il faut donc réajuster son esprit critique en permanence; car on peut toujours tomber sur l’exception qui confirme la règle. Le problème des proverbes et des belles histoires pour enfants, c’est qu’on ne peut pas démontrer leur fausseté ou leurs limites de manière scientifique, d’où l’intérêt réel et consubstantiel de la philosophie !

CONCLUSION

Les idées reçues n’ont une telle puissance qu’à cause de la méchanceté et de la paresse intellectuelle, ai-je dit précédemment. Mais il ne faut pas oublier non plus la paresse physique, ainsi la traite des noirs a reposé en partie sur ce type de paresse. Quant à la méchanceté, en ce qui concerne la traite des noirs, elle est évidente, car leur refuser le titre d’être humain à part entière, alors qu’en dehors de quelques détails physiques, ils sont conformés comme nous , cela relève d’une mauvaise foi patentée. 

Le seul remède aux idées reçues n’est donc pas que le développement des sciences, mais aussi celui de la philosophie (car elle seule peut réfréner les ardeurs fanatiques liées aux religions). C’est ce qu’a mis notamment en relief Kant dans son opuscule Qu’est ce que les Lumières ? La devise des Lumières nous dit ainsi Kant est « sapere aude », c’est à dire « aies le courage de te servir de ton propre entendement ! » Dans ce texte, Kant fait également la différence entre l’état de majorité et l’état de minorité. L’état de minorité n’est pas lié à l’âge selon Kant, puisque comme il le remarque, « ll y a des hommes qui aiment à demeurer mineurs durant toute leur vie », c’est à dire qu’il y a des individus qui ne s’émancipent jamais au niveau de leur esprit. Le problème, c’est que si on ne pense pas un minimum par soi-même, d’autres s’en chargeront à notre place, et ils ne seront pas forcément bien intentionnés ! Ainsi Kant s’offusque sur la paresse intellectuelle : « Si j’ai un livre qui pense à ma place, un directeur de conscience qui décide à ma place, un médecin qui décide de mon régime, quel besoin ai-je de  me mettre en peine !? »  Il n’y a donc que le doute philosophique et la réflexion qui permettent de s’émanciper et d’être majeur spirituellement parlant. Contre les idées reçues, il n’y a que la capacité de « révoquer en doute » (pour reprendre une expression de Descartes) , et donc l’apprentissage de la philosophie qui nous permettent d’avoir l’esprit sain et sauf. L’apprentissage de la philosophie n’est d’ailleurs pas  seulement l’acquisition d’un ensemble de doctrines (sinon on fait juste de l’histoire de la philosophie), mais apprendre à « se mettre en éveil » et à se questionner par rapport à notre expérience de vie. Et si nous acceptons certaines idées reçues, c’est parce qu’elles auront d’abord été reçues par  l’approbation et l’exercice de notre raison !

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