PEUT-ON SE MENTIR À SOI-MÊME ?

INTRODUCTION

Le mensonge, c’est dire des propos qui soit ne sont pas conformes à la réalité, par exemple quelqu’un dit que « le mur est gris », alors qu’il est blanc ; soit qui ne correspondent pas à l’idéal qui devrait être, par exemple, quelqu’un qui dit « les droits de l’homme sont une foutaise » ; alors qu’ils sont à la base de la constitution de la Vème République. Ainsi, il y a divers types de mensonges et différents degrés : soit celui qui travestit le passé (comme dans le révisionnisme historique), soit celui qui ne correspond pas au présent (« hic et nunc », « ici et maintenant »), la fiction dépasse la réalité, soit celui qui empêche le progrès de l’humanité, le mensonge qui ne donne pas de futur. Cependant le mensonge a toujours lieu dans un espace et temps précis (cadre spatio-temporel) et a toujours une portée métaphysique (le choix du mal contre celui du bien).
Le mensonge est une infraction morale à la parole saine. Le mensonge est une manipulation du discours en vue d’avoir le pouvoir, plus que le savoir. Seulement comme le mensonge est d’abord un travestissement de la parole en vue de manipuler l’autre, on pourrait se dire qu’il est impossible de se mentir à soi-même, puisque le mensonge suppose le rapport à l’autre. Or, la question, le sujet ici pose l’éventualité d’un mensonge par rapport à soi-même ! Ne pas être vrai avec soi-même, qu’est ce que cela peut bien être ?! Quand je mens à l’autre, est-ce que je ne me mens pas d’abord à moi-même ?

DÉVELOPPEMENT : LES CARACTÉRISTIQUES DU MENSONGE À SOI-MÊME

Ce mensonge à soi-même, il ne suffit pas de constater son existence, il va falloir décrire les diverses formes qu’il prend. Cependant, ce que l’on peut poser comme certitude en premier lieu avant de tomber dans la description de ce phénomène, c’est qu’il serait extrêmement répandu. Ainsi quand Arthur Rimbaud, l’éternel adolescent écrit « La vraie vie est absente » ; le poète sous-entend qu’il n’y a que des fausses vies, que nous nous mentons tous plus ou moins.

PREMIER ARGUMENT, PREMIÈRE CARACTÉRISTIQUE : LE MENSONGE EST INHÉRENT À LA CONDITION HUMAINE, CAR LA VIE EST SI DIFFICILE EN GÉNÉRAL QUE NUL N’ARRIVE À VIVRE SANS ILLUSIONS RASSURANTES.

Nous sommes tous plus ou moins obligés de nous mentir à nous-mêmes pour continuer d’exister à certains moments de nos vies. Par exemple, certaines femmes pour porter l’enfant en leur sein s’illusionnent en se disant que l’homme qui leur a procréé les aime, alors que tel n’est pas le cas. Mais le désir d’enfant peut être si fort qu’il voile tout le reste. Ou encore quand on dit « l’amour rend aveugle », ce proverbe illustre le fait qu’on idéalise l’autre dans la passion amoureuse ; on ne voit plus que les qualités de l’être aimé, la magie de l’amour est un enchantement, c’est aussi souvent une illusion d’optique. C’est généralement une perception déformée par le désir.

Dans un autre ordre d’idées, la religion peut apparaître par bien des aspects comme une sorte de mensonge à soi-même. Par exemple, beaucoup de personnes se moquent de la religion toute leur vie, puis avec la vieillesse et l’approche de la mort, on veut se rassurer en se disant qu’il y a une vie après la mort. Même l’être humain le plus honnête et vertueux ne pourra à un moment donné s’empêcher de se mentir à lui-même par une illusion psychologique.

DEUXIÈME CARACTÉRISTIQUE, DEUXIÈME ARGUMENT : MAIS AU-DELÀ DES ILLUSIONS RASSURANTES AUXQUELLES NOUS AVONS TOUS PLUS OU MOINS RECOURS, LE MENSONGE À SOI-MÊME RELÈVE LA PLUPART DU TEMPS D’UNE INFATUATION DU MOI.

La forme extrême de cette infatuation du moi s’observe dans la mythomanie. On ment sur soi-même pour se rendre intéressant vis à vis des autres. La mythomanie est très courante. « La frime » est déjà une sorte de mythomanie. Par exemple, un individu qui circule dans une superbe voiture en mettant une musique bien fort pour qu’on se retrourne sur son passage, l’achat du dernier smart phone pour avoir l’air plus intelligent que les autres ; ou même la femme qui s’habille de manière provocante, se mettant toujours en état de séductrice pour donner l’illusion « qu’elle est bien dans sa peau ». Toutes ces attitudes dénotent que le mensonge à soi-même relève d’une certaine fragilité psychologique. Mais tous ces mensonges à soi-même ont une caractéristique commune, une confusion entre le paraître et l’être. Bien sur que le paraître est important et pas à négliger, mais comme dit le proverbe : « l’habit ne fait pas le moine ». L’habit n’est pas inutile en soi, mais à lui seul n’est pas suffisant pour faire un saint. De même la beauté physique sans beauté intérieure n’est pas vraiment vivante, il manque le « charme ». Le « charme » est la beauté intérieure de l’individu et ce qui anime sa gestuelle et son parler. Le problème, c’est que le développement de la civilisation entraîne un accroissement du paraître. Par exemple, les « sauvages » de sociétés primitives peuvent se promener quasiment nus sans qu’ils s’en trouvent gênés. Mais dans une société plus évoluée, il faut s’habiller de telle ou telle manière, « pour être à la page », « à la dernière mode ». Le paraître vient primer sur l’être, à tel point qu’historiquement on a régulièrement eu des modes ridicules comme le port des cothurnes au moyen-âge, chaussures démesurément longues où on finissait par s’écraser les pieds les uns les autres, à tel point qu’un roi dût les interdire pour trouble à l’ordre public ! De nos jours, la plupart des gens aiment présenter un look décadent ; pantalons déchirés, vêtements sortant de la veste … Il n’y a plus beaucoup d’élégance, c’est le triomphe de la médiocrité, signe apparent qu’on est soit disant « moderne », « branché », « cool » alors qu’en vérité, c’est un manque de personnalité que de paraître négligé, puisque c’est un défaut d’amour propre. Quand on s’aime vraiment soi-même, on veut forcément avoir une bonne présentation. Donc le mensonge à soi-même s’illustre quotidiennement par la mythomanie, la « frime » et les « pantins » de la comédie sociale, et provient d’un ego blessé.

TROISIÈME ARGUMENT, TROISIÈME CARACTÉRISTIQUE DU MENSONGE À SOI-MÊME : L’INDIVIDU QUI SE MENT À LUI-MÊME NE FAIT QUE DIFFICILEMENT SON AUTO-CRITIQUE ; SOIT MÊME DANS LES CAS EXTRÊMES, EN EST TOTALEMENT INCAPABLE. 

Le menteur à soi-même est un individu qui n’admet pas ses failles. Le mensonge à soi-même entraîne alors une conséquence logique : la médisance, voire le délire avec la calomnie et la diffamation dans les cas extrêmes. Pourquoi le menteur à soi-même juge t-il plus facilement les autres que lui-même ? Parce qu’il est toujours plus facile de voir les défauts des autres au lieu de s’aviser des siens. Nous sommes tellement en général indulgents envers nous-mêmes, et durs pour les autres… C’est pourquoi Nietzsche allait jusqu’à dire : « On s’arrange mieux de sa mauvaise conscience que de sa mauvaise réputation ! » C’est surtout le regard des autres en général qui nous dérange plus que le nôtre sur nous-mêmes, tellement l’être humain est enclin au mensonge vis à vis de soi d’abord. La capacité de se remettre en cause, d’examiner ses qualités pour les développer, et ses défauts pour les diminuer est fréquemment un vœu pieux, une liste de bonnes résolutions que l’on remet souvent à l’année prochaine.

QUATRIÈME ARGUMENT , QUATRIÈME CARACTÉRISTIQUE DU MENSONGE À SOI-MÊME EST LA MAUVAISE FOI : C’est à dire que celui qui se ment à lui-même en général est dénué de sens moral. J.P Sartre, dans son roman la Nausée qualifie les hommes de mauvaise foi, de « salauds ». Qu’entend J.P Sartre, par ce terme quelque peu grossier. Le « salaud » , ou l’homme de mauvaise foi est celui qui croit que son existence est de toute nécessité, alors qu’elle n’est qu’aléatoire. C’est celui qui croit avoir plus de droits que les autres, parce qu’il est bien né. Sartre décrit ce type de comportement dans des pages célèbres de la Nausée, quand son anti-héros Roquentin va visiter le musée de la petite ville où il réside, là, il voit en tableau les portraits des notables passés de son coin de province, et là s’étalent la suffisance et l’air supérieur de certains qui ne réalisent simplement pas qu’ils ont bénéficié en général de plus de chances que les autres, par exemple pour suivre des études. La plupart des individus croit que s’ils ont un poste important, c’est par un mérite intrinsèque alors que c’est le plus souvent la combinaison d’ heureuses circonstances. C’est pourquoi d’ailleurs Rousseau, dans le Contrat Social affirmait que l’Humanité ne serait pas émancipée tant que les différences relevant des classes sociales seront perçus comme ontologiques, alors qu’elles sont circonstancielles, et tant que la majorité des gens ne prendra pas conscience que la plupart des maîtres ne sont en fait guère plus intelligents que les subordonnés ; si ce n’est qu’ils ont bénéficié de plus d’instruction et de circonstances favorables. Ce que constate Rousseau, c’est que la plupart des gens à force d’être asservis, finissent par croire que c’est du à un défaut d’intelligence. Alors que l’intelligence n’est pas une note fixe à un test de Quotient intellectuel, ce n’est pas une entité statique, ce n’est pas non plus qu’une prédisposition génétique, c’est aussi en grande partie un effort de volonté et de travail. On n’a jamais vu naître un génie d’un coup de baguette magique, cela implique une force énorme de travail et de maturation au contact de l’expérience, et un investissement énorme de la volonté dans une direction donnée. Mais les gens de mauvaise foi vous diront que tel n’est pas le cas, non seulement , en général ils ne voient pas qu’ils ne sont pas la nécessité même, mais en plus, ils sont majoritairement fatalistes : « On va pas changer le monde ! » disent-ils !

AUTREMENT DIT , NOUS ARRIVONS À LA CINQUIÈME CARACTÉRISTIQUE DU MENSONGE À SOI-MÊME : LE FATALISME. Le fatalisme est une disposition à croire que tout ce qui arrive est le fait du destin, et qu’on n’y peur rien changer. Le philosophe Alain dans Mars ou la guerre jugée disait que « le fatalisme est le vrai mal en ce monde ». Par exemple, disait-il, si on dit que la guerre est inévitable, elle finira par l’être effectivement. De même ceux qui se mentent à eux-mêmes sont fatalistes, et se caractérisent par une mauvaise volonté. Car la mauvaise foi (quatrième caractéristique du raisonnement) entraîne la mauvaise volonté (cinquième caractéristique du mensonge à soi-même). Ne pas vouloir changer, éradiquer ses défauts, c’est nier sa propre liberté, sa responsabilité. Bien souvent le mensonge à soi-même s’apparente à la solution de facilité. Par exemple, d’après les études sociologiques 30 % des hommes épousent des femmes qu’ils n’aiment pas ; ils prennent ce qu’ils trouvent au grès des circonstances. Ce sont les circonstances de la vie qui choisissent pour eux plutôt que leur propre goût personnel. Cela peut paraître risible, au premier abord, mais il est quand même définitivement tragique de voir la sommes des divorces et des mariages ratés, ainsi que les conséquences pour les enfants issus de ces unions mal assorties. Le mensonge à soi-même, c’est quelque part le refus d’aimer ; mais chez l’être humain, hélas, l’art de la dissimulation atteint souvent des sommets …

LA SIXIÈME CARACTÉRISTIQUE DU MENSONGE À SOI-MÊME : C’EST LE DÉFAUT DE RAISONNEMENT ET DE RÉFLEXION. Pour ne pas se mentir à soi-même, il faut un minimum philosopher ! Comme disait Horace : « Sapere Aude ! » ce qui signifie : « Aie le courage de savoir ! » Kant faisait même de cette expression (« Sapere Aude ! ») , aie le courage de savoir ! l’adage des Lumières. Mais comme le remarquait Kant dans Idée d’une Histoire Universelle au point de vue Cosmopolitique, les hommes aiment souvent demeurer en « état de minorité ». Comme le soulignait Kant, si j’ai un médecin qui s’occupe de mon régime, si j’ai un prêtre qui s’occupe de ma bonne conscience, qu’ai-je besoin de me mettre en peine et de penser courageusement par moi-même. « Aie le courage de savoir ! », combien de fois taisons-nous en nous-mêmes les conséquences de nos réflexions pour ne pas nous faire peur. « Aie le courage de savoir ! », aie le courage de te servir de ton propre entendement, de poursuivre la connaissance jusqu’au bout même quand elle est déplaisante. L’émancipation de l’Humanité passe par le refus du mensonge dans quelque domaine que ce soit. Par exemple, qui ne voit que nous allons vers une catastrophe écologique sans précédent si nous ne changeons pas rapidement nos modes de production et de consommation. Ne nous mentons pas à nous-mêmes collectivement quand nous gaspillons les fruits de la Terre et de la civilisation ?!

Enfin SEPTIÈME CARACTÉRISTIQUE DU MENSONGE À SOI-MÊME, C’EST AUSSI EN GÉNÉRAL UNE MÉCONNAISSANCE DE SOI. C’est pourquoi la devise antique au fronton du temple de d’Apollon à Delphes était : « Connais toi toi-même, et tu connaîtras tout l’univers ». Mais pour se connaître soi-même, il faut aussi explorer son inconscient, ce qui n’est pas forcément très agréable, car comme le remarquait Platon, même les hommes les plus vertueux ont des pulsions de violence et de sexualité. C’est pourquoi, de nos jours, cent ans environ après la naissance de la psychanalyse, on ne peut se passer des bases de l’analyse de l’âme trouvées par Freud. C’est vrai que rentrer en ses profondeurs rend souvent malade, c’est « affronter l’ombre » comme disait Jung. Freud dit même que cette exploration de l’inconscient quel qu’il soit rend malade. Dans l’Introduction à la Psychanalyse, Freud invite ses lecteurs à la découverte initiatique de soi : « Rentre en tes profondeurs… alors tu deviendras malade et tu éviteras peut-être de le devenir vraiment ! » Ne pas se mentir à soi-même provoque parfois des angoisses. De toute façon, on sait avec les progrès de la médecine et de la psychiatrie que se mentir à soi-même entraîne des malaises qui se traduisent souvent par des somatisations (déclenchement de certaines maladies).

CONCLUSION GÉNÉRALE

Le mensonge à soi-même est donc possible et même assez répandu. Et mentir aux autres, c’est aussi se mentir à soi-même. Par exemple, si un homme dit « je t’aime » à sa femme sans le penser vraiment, il lui ment, mais à lui-même aussi, puisqu’il renonce à aimer pour de vrai en choisissant une autre partenaire. Le « je t’aime » est la parole la plus sacrée, et celui qui la prononce sans la penser en toute sincérité est parjure. Et celui qui ne la dit jamais est malheureux … toujours !

 

 

Une réflexion au sujet de « PEUT-ON SE MENTIR À SOI-MÊME ? »

  1. Quelle belle leçon de vie que de prendre conscience que cette bouffonnerie que l’on se joue à soi-même en jouant le jeux de la société moderne qui favorise le jeu du chat et de la souris !

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